«La diversification alimentaire démarre dans le ventre de la maman»
INTERVIEW - Pour Julia Perroux, co-fondatrice de Good Goût, la diversification alimentaire est avant tout un apprentissage du goût. Surtout, c’est une affaire de plaisir. Et cela démarre alors que bébé est encore dans le ventre de maman...
Qu’entend-t-on par diversification alimentaire exactement ? Comment voyez-vous les choses à Good Goût ?
« Avant tout, il faut bien avoir en tête que le goût est l’un des rares sens qui peut évoluer tout au long de la vie, ce qui prouve qu’il résulte bien d’un apprentissage.
De plus, il implique tous les autres sens. Il les éveille. On regarde et on sent ce que l’on mange, on peut toucher différentes textures aussi... Le goût est un sens fondamental pour l’humain puisqu’il structure sa façon de se nourrir et de nombreux enjeux de société en découlent : la santé, le plaisir... C’est aussi un sens culturellement important puisque nous mangeons différemment aux quatre coins de la planète. Le goût est issu d’une transmission et d’un héritage. Au cœur de notre quotidien, le goût nous structure en tant que personne. »
A quel âge démarre l’apprentissage du goût ?
« L’apprentissage du goût commence in utéro. Si la maman mange varié pendant la grossesse, le bébé va le ressentir. Et cela va même au-delà de ça. La maman va produire des hormones de plaisir en mangeant certaines saveurs plutôt que d’autres. Le bébé dans le ventre, va alors appréhender un goût par rapport à un plaisir. Donc même in utéro il y a déjà une transmission qui s’effectue.
Ensuite, le début de l’apprentissage du goût pour les nourrissons une fois nés, se fait à travers le lait, aliment exclusif jusqu’aux 4 mois révolus (recommandation de l’OMS). On préconise largement l’allaitement aussi parce qu’il permet d’apporter une diversité dans les goûts qui sont proposés au bébé. Cela permet d’initier cette diversification alimentaire et la construction de la palette gustative.
Ensuite, débute entre 4 mois révolu et 6 mois, la période que l’on appelle officiellement diversification alimentaire. Mais en réalité, elle démarre donc bien avant. »
Quels sont les grands principes et étapes de la diversification alimentaire ?
« La diversification alimentaire est progressive. On introduit petit à petit un nombre d’ingrédients de plus en plus important, ainsi que des textures différentes, allant des purées lisses aux morceaux.
Par ailleurs, elle est individuelle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas deux enfants identiques. Certains bébés à 8 mois ont 10 dents et aiment croquer. A l’inverse, d’autres à 15 mois ne supportent pas d’avoir un morceau dans la bouche. Il faut s’adapter en fonction des enfants, y compris au sein d’un même foyer.
Autre grand fondement : l’alimentation doit être la plus variée possible. Elle doit contenir des légumes, des fruits, de la viande, du poisson, des féculents, mais aussi des céréales auxquels on pense moins. Il y a un consensus scientifique qui dit que plus on introduit d’ingrédients avant l’âge de 2 ans, plus on offre de chances à son enfant de bien manger plus tard.
Car après, entre 2 et 3 ans, commence la période de néophobie, où l’enfant se révèle à lui-même et commence à dire non, à avoir ses propres envies, ses propres réflexions. Il peut alors être moins réceptif lorsqu’on lui propose de nouvelles choses. Mais si un enfant qui rejette certains aliments pendant cette période de néophobie, les a goûtés avant, il y reviendra plus tard.
Je rajouterais un dernier principe qui est très Good Goût : je pense que cette diversification alimentaire doit rester intuitive. Aujourd’hui, on dit tout ce qu’il faut faire, à quel rythme, dans quelles proportions, etc. Or, les enfants ont des constitutions différentes. Et nous, nous pensons que les parents doivent remettre un peu d’initiative dans cette diversification qui en tant que telle n’est pas risquée, sauf problématique particulière de terrain allergène. »
Est-ce qu’il y a quand même des règles à connaître, des recommandations à suivre ?
« Oui, il y a quand même quelques règles à connaître et à respecter. Par exemple, on ne met pas de sel et on évite de donner trop de protéines. Un enfant de 10 mois a besoin seulement de une ou deux cuillères à café de viande par jour. Au contraire, on n’hésite pas à varier les matières grasses : huiles, beurre, crème... Une fois que l’on a ces quelques recommandations en tête, il faut s’enlever de la pression. Ce n’est pas très compliqué ! »
Est-ce que l’on note des changements dans les pratiques ces dernières années ?
« Oui il y a de nouvelles approches médicales par rapport à l’introduction de certains aliments potentiellement allergènes. Aujourd’hui, la politique est d’introduire tout le plus tôt possible, y compris les fruits exotiques, le gluten, l’arachide... Ces substances ingérées très tôt agiraient comme des vaccins.
Désormais, il n’y a que de très rares ingrédients qu’il ne faut pas donner avant 1 an. C’est le cas du miel, car il y a des risques de botulisme infantile. Le système immunitaire des bébés de moins d’un an n’est pas assez développé pour les protéger contre cette infection due à une bactérie et qui touche le système nerveux. »
Concernant l’assaisonnement, les épices, les goûts forts, y a t-il des contre-indications pour les bébés ?
« Il n’y aucune problème ! Vous pouvez tout à fait mettre de l’ail dans un plat de bébé par exemple. On a toujours l’impression que lorsque c’est fort, ils ne vont pas aimer. Mais peut-être que si ! »
Quels conseils donneriez-vous aux parents dont les enfants peuvent être un peu plus difficiles ou pas très aventureux en matière de nouveautés alimentaires ?
« Il est prouvé que la répétition aide un enfant a finalement accepter un fruit ou un légume. Le punir, lui donner un cadeau ou lui promettre un dessin animé ne fonctionne pas. Le plus efficace est de proposer de nombreuses fois un aliment.
Le mimétisme est également très important. Il y a des études qui montrent que les enfants qui mangent des légumes ont vu leurs parents en faire de même... Ces derniers restent la première source d’influence.
Nous, nous essayons de promouvoir la conscience de l’enfant concernant son repas. Il doit manger à table et pas devant un écran, ni en train de lire un livre. Un enfant doit regarder ce qu’il mange, parler de ce qu’il mange. Pour les plus grands, nous prônons aussi une implication des enfants : aller faire les courses, aider à préparer la cuisine, etc. »
Comment Good Goût accompagne les parents dans la réussite de la diversification alimentaire ? Est-ce que vous travaillez avec des professionnels pour élaborer vos plats ?
« En premier lieu, nous sommes des parents avec notre propre expérience. Nous travaillons avec des chefs sur la partie recettes et nous nous appuyons sur des travaux de recherche. Nous sommes en contact avec de nombreuses personnes, parmi lesquelles des chercheurs , des nutritionnistes... Egalement, des personnes qui travaillent sur le goût.
En tout cas, la condition sine qua non pour une diversification alimentaire réussie, c’est le plaisir. Les enfants et les parents doivent prendre du plaisir dans cette démarche. Sinon, ce n’est que de la contrainte et cela ne fonctionne pas. Cela n’intéresse pas un enfant de savoir si c’est bien pour sa santé. Il mangera s’il trouve ça beau et bon. »